Moulins et Patrimoine
Alain PROUST

 

Produire de l’électricité : élaboration du projet pour le propriétaire d’un petit moulin

Le propriétaire de moulin qui a décidé de produire, pour son usage, de l’électricité doit, pour voir aboutir son projet, examiner et maîtriser successivement différents aspects :

- la réglementation concernant son moulin

- les passages d’eau

- l’état et le fonctionnement des ouvrages

- la conception des systèmes mécanique et électrique

- la réalisation et l’installation des systèmes

- les essais et la mise au point.

 

La réglementation

Actuellement, EDF a le monopole du transport de l’électricité, mais pas de sa production. Vous pouvez donc produire de l’électricité pour votre usage personnel sans être en infraction avec la loi et sans autorisation particulière de l’administration. Si vous envisagez d’utiliser réellement la potentialité de votre moulin, votre projet aboutira plus facilement si d’une part, l’installation du moulin est antérieure à 1789, auquel cas il est fondé en titre et bénéficie, de ce fait, de droits particuliers et, d’autre part, s’il existe déjà un règlement d’eau. L’installation du moulin est antérieure à 1789 s’il figure sur la carte CASSINI qui est antérieure à cette date. L’existence d’un règlement d’eau permet d’avoir un document souvent précis et bien rédigé qui peut servir de référence dans les échanges inévitablement nécessaires avec les autres partenaires concernés également par les questions de l’eau. Si vous ne le possédez pas, vous pouvez rechercher aux archives du département les documents où il aurait été fait mention de l’existence de ce règlement, ou contacter la DDA qui possède aussi des archives, en particulier des règlements d’eau, parfois anciens. Si votre moulin n’est pas antérieur à 1789 et si vous n’avez pas de règlement d’eau mais disposez d’un débit d’eau suffisant et d’une chute utilisable, tout espoir de production électrique est loin d’être perdu. La conduite à tenir est alors très dépendante des situations particulières de chaque moulin et, de ce fait, ne peut être abordée ici.

 

Les passages d’eau

Pour produire de l’énergie, votre moulin doit pouvoir bénéficier d’un certain débit d’eau et d’une hauteur de chute d’eau utilisable. Si votre moulin n’a pas fonctionné pendant un temps, il est possible que quelque riverain ait procédé à des aménagements, que des habitudes d’utilisation de l’eau soient prises sans souci des droits du meunier. Des contacts, voire des négociations, seront nécessaires, pour restituer les niveaux d’eau et les passages d’eau d’origine qui seuls permettent une utilisation efficace de l’énergie hydraulique. Il vous faut auparavant bien comprendre comment doit fonctionner votre moulin, les manœuvres à faire pour son bon fonctionnement sans nuire aux tiers, et cela aux différentes périodes de l’année. Là encore, si votre moulin est fondé en titre, ce qui est très souvent le cas pour les petits moulins, il conserve ses droits anciens et le retour à une situation de bon fonctionnement est facilité. Les tribunaux peuvent enfin se prononcer sur les droits de chacun en cas de litige, si aucune autre solution acceptable ne peut être trouvée. Ce n’est bien sûr pas le moyen à privilégier.

 

L’état et le fonctionnement des ouvrages

Il faut donc que les ouvrages soient en état et qu’ils n’aient pas subi de modifications de nature à perturber l’utilisation de l’eau. Il faut parfois les reconstruire plus ou moins partiellement. Il ne faut pas alors hésiter à utiliser des matériaux modernes (l’acier inox par exemple pour certaines pièces immergées en mouvement), en prévoyant dès le départ la possibilité de faire fonctionner ces ouvrages de façon automatique et électrique. Les aménagements pour l’installation des matériels et de leurs câbles d’alimentation seront prévus. Le principe de fonctionnement de ces ouvrages pourra être changé pourvu qu’ils assurent toujours les même fonctions. Les matériaux modernes faciliteront la réparation des retenues d’eau et des canaux, tout en étant prudent avec l’utilisation des bétons qui manquent de souplesse et peuvent engendrer des passages d’eau par contournement.

 

La conception des systèmes mécanique et électrique

Une roue ou une turbine ? Sans doute il peut apparaître préférable de conserver le principe existant, sauf s’il a été récemment installé. Le rendement d’une roue performante est identique à celui d’une turbine. Mais une roue, qui tourne, a un charme indéniable et un chant que l’on n’oublie pas. La roue mérite une attention pour sa construction, la turbine pour son installation. La roue sera sans doute souvent privilégiée dans les moulins ruraux, car c’est la seule solution raisonnable techniquement et économiquement pour des chutes inférieures à 2 m. Les dimensions d’origine doivent être retrouvées, ou déduites des vestiges de l’installation. L’observation de sites identiques dans un même lieu géographique donne des idées. La roue doit-elle être construite selon une technique traditionnelle, ou en utilisant des procédés de construction et des matériaux récents ? En fait, on ne peut parler d’une « technique traditionnelle ». Entre le XII ème siècle et le XIX ème, les techniques ont été différentes, toutes traditionnelles à leur époque. Et un même moulin a été équipé au cours des âges de roues construites selon des techniques différentes. Les roues construites avec du fer sont tout autant traditionnelles que les roues construites entièrement en bois. Elles ont seulement été construites à des périodes différentes. Et souvent, le choix du meunier sera en fait d’utiliser le fer ou le bois pour la structure de sa roue. Une roue en bois aura un charme bien particulier, mais elle sera fragile, nécessitera des réparations fréquentes (à moins qu’elle ne fonctionne que ponctuellement) ; une roue en fer sera résistante et pourra fonctionner avec peu d’entretien, ce qui est important pour un meunier qui n’est pas toujours présent dans son moulin. Un moulin qui produit de l’électricité à des fins utilitaires fonctionne 24 heures sur 24 plusieurs mois par an. L’utilisation du fer paraît un choix judicieux quasiment indispensable. L’étape suivante sera d’établir le plan précis de la roue. L’ordinateur simplifie bien ce travail. Bien sûr, moins la roue existante sera dégradée, plus la restauration sera facile et peu onéreuse. Il faut ensuite concevoir, s’il a disparu, ou adapter, s’il existe encore, le mécanisme qui permettra de transmettre l’énergie de la roue qui tourne à quelques tours/minute à un générateur qui tournera à plusieurs centaines de tours/minute. Il est peu fiable en général de réutiliser les systèmes de transmission en fonte. Des types de transmission sont à privilégier (accouplements semi-élastiques, multiplicateur sous carter), d’autres sont à éviter (courroies plates, chaînes, roues dentées en fonte, courroies trapézoïdales -excepté pour le dernier étage-). Rappelons qu’un pignon entraîné par un autre pignon (ou roue) a une vitesse de rotation inversement proportionnelle à son diamètre (ou à son nombre de dents). Un pignon de 100 mm de diamètre entraîné par un pignon de 300 mm de diamètre verra sa vitesse de rotation multipliée par trois par rapport à la vitesse de rotation du pignon de 300 mm. Si le pignon « A » tourne à 11 tours/minute, le pignon « B » tournera à 33 tours/minute, comme le pignon « C » qui entraînera le pignon » D » à 99 tours/minute (soit 11 tours/minute X 3 X 3 = 99 t/m). Les assemblages devront être solides. Les forces en cause sont importantes lorsque les forces de rotation dans les moulins sont faibles.

Le « meunier » devra ensuite faire un choix parmi les systèmes électriques possibles pour produire de l’électricité. Trois types d’installation permettent cette production : Le système le plus ancien consiste à associer au mécanisme d’origine une dynamo. Les anciens meuniers se souviennent bien d’un phénomène propre à ce système : la baisse de l’intensité lumineuse des lampes lorsque la roue ralentissait. Ce système, qui a de nombreux inconvénients, ne peut être envisagé aujourd’hui. Un autre système construit autour d’un générateur avec excitatrice permet de produire de façon entièrement autonome de l’électricité de très bonne qualité si les régulations sont adaptées. Le troisième système s’articule autour d’une génératrice asynchrone. Ce système est connecté au réseau EDF, il doit disposer de sécurités adaptées et produit une électricité d’excellente qualité. Ce système n’est pas autonome, mais il est très fiable, moins onéreux et facile à installer. Il est utilisé dans les petites et moyennes centrales. Les  moulins qui produisent de l’électricité à des fins commerciales utilisent ce système.

Seuls les deux derniers systèmes peuvent être envisagés pour une production domestique d’électricité. Des matériels de sécurité simples (c’est une production domestique !) sont indispensables en cas d’incidents électriques ou mécaniques. Il est d’abord nécessaire de prévoir l’arrêt de la roue ou de la turbine pour éviter l’emballement en cas d’incident. Un système électrique, sur batteries, sera déclenché dès qu’une vitesse excessive sera détectée et actionnera une vanne qui pourra arrêter ou dévier l’eau. Ce système devra être conçu en fonction de la particularité de chaque moulin. Il faut aussi prévoir une protection électrique pour déconnecter le générateur en cas de sous-voltage ou de survoltage. Des disjoncteurs spécialisés remplissent cette fonction. Pour les systèmes asynchrones, il faut un relais de fréquence qui assure une connexion correcte de ce système avec le réseau, et un disjoncteur qui permet son isolement définitif en cas de micro coupures ou de court-circuits. Quel que soit le système, il faut rechercher des générateurs qui tournent le plus lentement possible pour limiter le bruit et les vibrations qu’ils génèrent. Plus leur vitesse de rotation est lente, plus ils sont chers, plus ils sont lourds. Une vitesse de rotation de 1500 tours/minute semble un maximum, 1000 tours/minute est satisfaisant, en dessous c’est mieux encore.

 

Les essais et la mise au point

Les capacités de production électrique d’un moulin sont difficiles mais possibles à évaluer. Les premiers essais permettront de valider les calculs effectués.

Les derniers travaux sont réalisés, les réglages terminés, votre moulin peut produire de l’électricité 24 heures sur 24 pendant la bonne période, quasiment sans entretien au niveau mécanique et au niveau de la roue si elle est en métal.

Produire son électricité conduira « le meunier » à s’engager davantage encore dans la vie de son moulin, à apprendre à écouter son moulin et à détecter ainsi le bruit inhabituel qui nécessitera son intervention (ce qui arrive rarement), à exiger de son moulin le meilleur rendement, à tel point que toute interruption de fonctionnement lui deviendra insupportable. Et le moulin, chaque jour, vivra.